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L'atelier de Fabeli
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21 décembre 2009

Esprit de Noël

 

 

rennes_3

-Salut Paolito!

-Salut René! Tiens, assieds-toi, là, si tu veux, je vais enlever ma gamelle.

-Merci ! Qu'est-ce que tu manges?

-Ragoût de carottes aux airelles. C'est la spécialité de ma mère, un régal. Alors, c'est ta dernière année?

-Et je pars juste à temps! Pour les suivants, pas question de s’arrêter avant vingt cinq ans. Travailler plus pour gagner plus, qu’ils disent !

-Ne m'en parle pas. Rien que d'y penser, j'en ai les bois qui se hérissent. Tu restes par ici ?

-Tu rigoles! Je m’en vais retrouver ma cabane au Canada. Bichette m’attend, on va enfin pouvoir, elle et moi, se donner du bon temps. Voyager, visiter du pays, sortir un peu de toute cette neige, marcher au sec, gratter du sabot le sable chaud.

-Tu nous enverras des cartes postales? Regarde-moi ce fainéant d'Eric! Il se planque derrière la pile de déguisements d'Obama. Quel ours polaire, celui-là!

-Ah ! Les lutins ne sont plus ce qu’ils étaient ! La conscience professionnelle, chez les jeunes, elle se perd. On ne pense qu’à multiplier les pauses et les RTT.

-Tu as vu tout ce qu’ils ont entassé sur le traîneau ? Et de guingois encore ! Au premier virage, pfft! On en perd la moitié. Et le patron qui ne dit rien.

-Oh! De toutes façons, il s'en fout, du moment que le boulot est fait. Il est là, drapé dans sa houppelande, un coin de fesse sur le traîneau, à pointer sur sa liste les colis qui passent.pere_noel_2

-Dis donc, tu ne trouves pas qu'il a l'air fatigué ?

-C'est vrai qu'il a une mine de papier kraft. Il nous parle de crise du jouet et de difficultés d’approvisionnement, mais je crois surtout qu’il aurait besoin, lui aussi, de s’arrêter et de passer la main.

-Tu le connais, monsieur ne veut rien entendre. Malgré la cohorte de jeunes qui se pressent à la porte, il ne veut pas céder la place. Il se cramponne à sa houppelande comme un forcené.

-Tu te souviens de son discours de rentrée? Il a parlé de vocation, de service public, de sacerdoce. Moi je crois plutôt qu’il a peur d’arrêter. Il a fini par y croire à son rôle de Père Noël, dieu tout puissant sur les désirs des enfants. Alors la retraite, ça lui fout les jetons.noel_perenoel_clr

-Ouais! Ben, en attendant, s'il continue comme ça, il ne la verra même pas, sa retraite. Et la mère Noël qui n'est plus là pour le raisonner !

-Alors là, tu parles d'un truc! Après quarante ans de vie commune, partir, comme ça, sans prévenir, pour élever des chèvres dans les Pyrénées!

-Ça va lui changer le quotidien ! Il paraît qu'elle n'y croyait plus, à Noël, la bonté, l'amour du prochain, et patati et patata! Elle disait que tout ça c'était devenu une affaire de fric. La femme de Luka, le concierge, l'a même entendu pleurer.

-Elle n'a pas vraiment tort! Tu sais, mon grand-père me racontait ses débuts, les premières tournées, pendant la guerre, je te parle de la première, les oranges emballées de papier de soie, une par gosse, et puis c'est tout. Et encore, ils étaient contents! Et mon père a connu l'époque des jouets en bois, solides, les épées de chevalier, les voitures à pédales pour se croire Fangio,

lvoiture_enfant les poupées aux yeux de porcelaine Alors que maintenant, dès le vingt six décembre, les marmots envoient des mails de réclamations parce que la console de jeu est bleue au lieu d'être rose et que le sabre laser est moins efficace que dans les films.

-Tu la joues un peu nostalgique, là. Il faut vivre avec son temps.

-C'est possible, mais tu vois, j'ai perdu la flamme. Je la comprends, la mère Noël, avec ses chèvres dans sa yourte. Je suis bien content d'arrêter cette année pour ne pas voir comment ça va finir.

-Qu'est-ce que tu veux dire?

-On dit que le type qui s'est pointé, l'autre jour, dans l'atelier, celui qui avait le teint jaune et les yeux bridés, on dit qu'il venait pour négocier la reprise de l'atelier. Il a de grands projets, paraît-il. Informatiser le service du courrier, traiter les commandes par logiciel spécial. Automatiser l'emballage pour virer la moitié des lutins. Je ne veux pas te faire peur, mais il a même été question de motoriser le traîneau.

-Tu ne vas pas me dire que le patron peut accepter une chose pareille? Non, je ne veux pas y croire. Ici, c'est quand même une affaire de famille, on ne cherche pas le profit à tout prix. Non, ce n'est pas possible! Pas nous, pas ici, pas comme ça!

-Je comprends que tu sois déçu. Je ne voulais pas y croire non plus. Mais si tu réfléchis bien, tu vois que les choses ont changé. La pointeuse, les réunions de motivation commerciale, les objectifs toujours plus élevés, les salaires bloqués, la suppression des primes de grand froid. Tu savais, toi, que trois lutins ont tenté de se jeter dans le lac gelé?

lac_gele_de_l_hotel

On les a sortis de justesse, congelés mais encore vivants. Tout est pourri, je te dis. C'est la fin.


-C'est malin, j'ai le moral dans les sabots. J'ai le ragoût aux airelles de maman qui ne passe pas. Je ne la sens pas cette tournée. Avec toutes tes histoires, j'ai même le pressentiment que c'est la dernière.

-Dernière ou pas, on va se la faire quand même. Tiens, regarde, j'ai apporté un petit remontant, c'est ma liqueur_1dernière bouteille d'alcool d'érable. Fabrication maison. Allez, viens, Paolito, le boulot nous appelle. Le patron, a terminé de pointer sa liste, il referme sa houppelande, il ajuste son bonnet, il grimpe sur le siège du traîneau. On n'attend plus que nous. Allez, viens, après tout, c'est Noël, on peut encore croire au miracle

traineau

 

 

 

© Fabeli 21 décembre 2009

Le devoir professionnel m'appelle,
je serai absente de l'Atelier jusqu'à la fin de l'année.

Je vous souhaite à tous un joyeux Noël.

normal_noel_28

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Commentaires
F
LOrraine, comme tu le dis si bien, le festif côtoie le pessimiste en ce moment...c'est la vie, mais ça rend parfois le goût de la fête un peu amer.
F
Mimik, c'est sûr, il y aurait certains trucs à revoir...et comme souvent dans l'Histoire, la solution pourrait venir des femmes!!!!
L
et très juste des "Temps modernes", vus par les rennes du Père Noêl. Excellente vision des choses mise à la sauce festive et pessimiste de nos périodes de fête, Fabeli! Que l'année te soit douce et chaleureuse, et pleine d'idées qui nous réjouiront.
F
Valérie, j'aime Noël, mais je garde les yeux ouverts sur le monde tel qu'il est!
F
Phil, hohoho !!!
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