Portrait de la nouvelle
Quatre hommes fatigués
(Nicolas Ondongo)
gravure sur cuivre
1955
(Jean Noël Blanc)
"La nouvelle est un texte bref (...) La brièveté est affaire de nerfs, et de muscles exacts. Rien à voir avec ces exercices de musculation auxquels condamnent les 500 pages d'un "best-seller" pour l'été, où la rédaction est à l'écriture ce que le culturisme est à la culture.
La nouvelle est un genre plus sportif : elle a le visage affûté de l'homme en forme comme on dit dans L'Equipe (...)
Pour certains elle s'apparente à la gymnastique au sol : tous les mouvements, enclos dans un temps limité, trouvent leur sens et leur aboutissement dans la perfection de la sortie. La beauté de la chute y mesure la valeur de l'ensemble du travail.
Parfois la chute est une pirouette.
Parfois elle a plus de gravité : quelque chose s'y brise.
Je préfère pour ma part une autre métaphore : modestie des moyens, économie des gestes, vigueur du trait, justesse du tracé - la vivacité de la nouvelle est celle du croquis.
Une touche de couleur, une indication de ligne, la trajectoire d'un mouvement qui se dessine, l'énoncé d'une attitude prise d'un trait, le caractère enlevé d'une esquisse, et tout est dit. Le geste effaré est retenu, l'émotion est saisie : il y a du saisissement dans l'art de la nouvelle.
Elle tient du dessin, quand le roman tient de la peinture.
Dire le moins pour suggérer le plus.
Rien de plus difficile que cette épargne.
D'abord, il faut savoir cadrer. C'est-à-dire éliminer. Le cadrage se définit d'abord par ce qu'il écarte du champ de vision (...)
La nouvelle est un genre éminemment technique.
Sa peur n'est donc pas celle de la page blanche. C'est bien plutôt le vertige de la page déjà noircie.
Écrire d'abord. Puis supprimer. Condenser. Réécrire. Gommer. Corriger l'excès. S'arrêter quand il n'y a plus rien à ôter.
Il reste toujours quelque chose en trop. Horreur de relire une nouvelle quand elle est imprimée : tant de lourdeurs, tant de verbiage, tant de graisse.
Par crainte d'être bavard, gratter la phrase : viser l'os (...) Lorsque c'est réussi, le texte a la clarté d'une gravure sur cuivre : la franchise, la précision et l'audace d'un premier jet, sans qu'y apparaisse le moindre repentir.
Le trait mord.
Alors la pointe sèche évite la sècheresse. Un rêve passe, l'émotion s'y fait entendre, en sourdine. Point d'autre secret que la morsure du trait.
(...) L'idéal : que le texte de la nouvelle se mette à travailler le lecteur, insidieusement. C'est-à-dire que le texte travaille, et reste en bouche longtemps après la lecture. Que, malgré le mot "fin", on ne l'oublie pas, à la fin."
Je ne connais pas cet auteur (j'ai trouvé son site par la magie des "lianes" d'internet) mais je sens que je vais m'y intéresser dans les prochains jours...