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L'atelier de Fabeli
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26 juillet 2015

Ecrire pour vivre mieux

JL 15

Ecrire 

Genève, 18 décembre 1978

Je n'aime plus écrire, si écrire c'est « faire des livres » pour les regarder ensuite et les faire regarder en disant : « Comme c'est joli, ce que j'ai fabriqué là », si écrire c'est fignoler son style et lécher sa page. Écrire et lire, pour  moi, ce n'est pas une façon de se retirer de la vie pour faire une oeuvre d'art.
J'aimerais mieux essayer de faire de l'oeuvre d'art une oeuvre de vie, multiplier la vie, ses expériences. Je n'écris pas pour me faire plaisir ou faire plaisir (quoique je ne pense pas du tout que le plaisir à vivre et à agir et à aimer soit un mal en soi).
J'écris comme je lis, pour essayer de vivre mieux, dans tous les sens du mot mieux : pour sentir plus de choses, et plus profondément, pour observer mieux et plus attentivement, pour comprendre mieux les gens et les choses, pour y voir plus clair et me tirer au clair, pour donner et recevoir, rece­voir et donner, pour « faire passer », pour tenter de savoir vivre et pour apprendre à me tenir de mieux en mieux. Pour jouer aussi, parfois, pour le plaisir de l'imaginaire, pour jouir de la liberté ludique d'éluder la vie quotidienne. Mais le jeu lui-même n'est-il pas, dans son apparente gratuité, une façon ambiguë de s'affronter au réel, un apprentissage ?
II me semble qu'en règle générale la littérature ne sert à rien et ne vaut rien quand elle se veut utile, utilitaire et au service de « valeurs ». Mais qu'en même temps la passion d'écrire devrait être une passion morale. Cela peut aller de la gourmandise de vivre de Colette, qui écrit pour mieux savourer et pénétrer le goût des choses de tous les jours, la saveur d'un fruit, le velouté d'une chair, le pelage électrique d'un chat, à la leçon de tenue de Kouznetsov, qui écrit au Goulag pour survivre, pour garder ses distances avec ses bourreaux, pour garder l'échine droite face à ceux qui veulent le briser.
La passion d'écrire, ce n'est pas une façon de vivre un peu moins pour créer un peu plus. Cela devrait être un art d'éclairer (pour soi et les autres) un peu plus la vie, afin de la vivre davantage.

Claude Roy (In « Permis de séjour, 1977 – 1982 » Gallimard 1983)


(Tableau de Jeanette Leroy)

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9 juillet 2015

Mémoire

Je me souviendrai de tout. Les paroles s'envolent, les écrits restent. Ma mère disait ça. J'écris pour tout garder, pour ne rien perdre en cours de route. J'écris pour m'accrocher, pour ne pas couler. J'écris les rires, j'écris les larmes et la fuite des jours. Je me souviendrai de la petite fille qui avait peur de tout. Je me souviendrai de la jeune fille indécise. Je me souviendrai de la femme que je deviens chaque matin. Je me souviendrai d'une femme qui oubliera peut-être qu'elle ne voulait rien oublier.  Ma mémoire est si fragile, plaque de verre fine et claire, prête à se briser au moindre souffle. Les mots sont là pour la préserver, ils gardent ma mémoire en mémoire. Ils sont la preuve que je suis vivante, que je laisse une trace pour ne pas me perdre. Les mots me tiennent assemblée. Sans eux, je finirai en milles morceaux.

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