Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
L'atelier de Fabeli
L'atelier de Fabeli
Visiteurs
Depuis la création 30 025
2 mai 2010

Muse, où es-tu ?



Je n’ai pas envie d’écrire. Non, ce n’est pas juste. Ce n’est pas une question d’envie, c’est une question d’inspiration. J’ai beau m’asseoir au bureau, saisir mon stylo, tourner une page de carnet pour dévoiler du blanc, rien.

Alors je cherche à stimuler, je regarde autour de moi, un mot, une image, qui servirait de démarreur. Rien.
Alors j’ouvre un livre au hasard, il y a toujours des livres sur mon bureau, tiens, Truman Capote, un recueil de nouvelles, je ne connais pas. La première page, la première phrase. Non, trop longue. Une autre, un peu plus loin. Non, trop précise, trop de détail.
Je laisse Capote, j’attrape Sallinger et son « Attrape-cœurs », j’ouvre au hasard, un chapitre, la première phrase, je la copie, je m’oblige à la copier, sinon, on n’arrivera à rien et la matinée va passer et je n’aurai pas écrit.

« La première chose que j’ai faite… » J’aligne les mots sans conviction, je ne vois rien, pas d’image jaillissant de mon fertile cerveau pour déjà envisager l’amorce d’une histoire. « …en débarquant à Penn Station… » C’est américain, ça, je ne connais pas l’Amérique, je vais avoir du mal à situer une histoire là-bas. « …ça a été d’entrer dans une cabine téléphonique ».

Voilà, c’est tout, maintenant c’est à moi. Il y a un gars ou une fille dans une cabine téléphonique et débrouille –toi avec ça. Il ou elle appelle qui ? Sa mère ? Une amie ? La police ? Et pour dire quoi ?
« J’ai oublié mes clefs sur le buffet » Bof !
« C’est décidé, je ne viens pas à l’anniversaire de cette salope de Martha » Mouais !
« J’ai été témoin d’un horrible meurtre dans la rue »
Non, par la fenêtre d’un appartement, en passant. C’est mieux ça, plus original.

Il ou elle se presse sur le chemin du travail, le froid du petit matin, la foule sur les trottoirs, le raffut de la circulation, et soudain, tournant la tête vers une façade, comme ça, par hasard, il ou elle aperçoit un homme en train d’étrangler une femme derrière une fenêtre.
Ça se passe au rez-de-chaussée ou au premier étage, parce qu’après, on ne verrait plus rien de la rue.
Ou alors c’est une femme qui poignarde un homme, une fois, deux fois, trois fois, crise d’hystérie meurtrière et le type ne veut pas mourir, se rattrape au buffet, à la fenêtre, et l’autre qui frappe encore et encore.
Dans la rue, notre quidam est stupéfait. Comme dans un mauvais rêve, il fixe la scène mais ne parvient pas à crier, ni même à tendre le bras pour indiquer l’horreur, là, derrière le carreau.

Le meurtrier ou la meurtrière en a fini avec la victime. On ne voit plus qu’une silhouette. L’autre, le cou bleui et les yeux exorbités ou bien baignant dans la mare de sang réglementaire, l’autre, on ne le voit plus. Mais on l’imagine.
C’est pour ça qu’on se précipite vers Penne Station et qu’on entre dans une cabine téléphonique. Et, vu ce qu’on vient de voir, c’est aux flics qu’on téléphone. On raconte avec force détails et un peu d’affolement le truc horrible, là-bas, derrière la fenêtre.
Et le flic, sans se presser, parce qu’ils ont l’habitude, les flics, d’avoir à longueur de journée des coups de fils qui annoncent les pires malheurs, le flic, donc, essaie de faire le tri dans tout ce qu’on lui débite d’une voix saccadée, et surtout, ce qu’il veut, le flic, c’est une adresse, « parce que vous conviendrez, madame, monsieur ou mademoiselle, qu’il nous faut une adresse précise. On ne va pas taper à la porte de tous les immeubles du côté droit de la sixième rue pour trouver un cadavre et son meurtrier »

Alors voilà qu’on s’efforce de chasser la vision d’horreur qui nous tord les boyaux depuis quinze minutes et on cherche à préciser géographiquement la chose. Juste après la vitrine du marchand de jouets, un peu au-dessus du garage au nom italien ou espagnol et bien avant, oui, bien avant le supermarché.
Le flic, au bout du fil, demande maintenant notre nom et notre adresse et là on hésite un peu parce qu’on ne veut pas d’ennui. Ce n’est pas qu’on ne veuille pas aider la police, bien sûr, mais on sait ce que c’est les tracasseries administratives et tout et tout.
Mais bon, finalement on donne le nom, l’âge, la profession, l’adresse et puis on raccroche en se persuadant qu’on a bien fait, très bien fait. On sera juste un peu en retard au travail.
Il va falloir raconter aux collègues le pourquoi du comment, repasser le film du crime, sans oublier quoi que ce soit. Et comment était le meurtrier ou la meurtrière, couleur de cheveux, taille, corpulence, vêtements. Et la victime ?

Il ou elle sort de la cabine téléphonique. Le froid est toujours là, et la foule, et la circulation qui n’en finit pas...

Trois pages. Je n’ai pas vraiment grand-chose de concret mais au moins, j’ai écrit.! Avec tout ça, le temps qui passe et l’heure qui tourne... Je vais plutôt aller m’habiller et partir faire les courses !

© Fabeli  mars 2010


Publicité
Publicité
Commentaires
F
Lorraine, j'aime beaucoup lire des articles ou des biographie, dans lesquels des auteurs parlent de leur façon d'écrire, à quel endroit, à quelle heure, avec quels rituels, selon quels procédés... Et parfois on se trouve des points communs avec tel ou tel "grand" écrivain alors on se met à rêver!!!<br /> ;-)
L
presque, en tous cas une veine "Hitchcock". Mais ce que j'aime surtout, c'est ta démarche, la façon dont tu arrives à écrire, les biais, les démêlés avec toi-même, la tentative, l'hésitation et soudain le démarrage. C'est vrai que parfois on veut écrire, on voudrait bien, on essaie, zut rien ne vient, je n'ai rien à dire, plus d'inspiration...Et voilà, les coulisses de la création sont devant nous, il ne reste plus qu'à continuer...Je crois que tous ceux qui veulent construire un texte qui tient debout et dont l'inspiration renacle, se reconnaîtront dans tes mots, Fabeli!
F
Edmée, pour le moment rien ne vient mais parfois, certaines histoires mûrissent tranquillement dans le cerveau de l'auteur(e), pour enfin jaillir au grand jour sous les yeux des lecteurs ébahis!!!<br /> ;-)
E
Figure-toi que je me suis bien amusée à te lire. L'imagination qui vagabonde dans un délire éhonté, et hop, ça fait Fenêtre sur cour, film noir, ou Brian de Palma... <br /> <br /> En fait tu as un excellent point de départ! <br /> <br /> La suite! La suite!
C
ah oui! ça m'étonne pas... tu es davantage dans la fine psychologie...
L'atelier de Fabeli
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité