C'était un soir d'avril. Un reste de jour dehors et nous, dedans, "écrivants" courbés sur nos cahiers pour obéir à la consigne d'écriture : la contrainte du prisonnier, ce jeu inspiré par l'Oulipo : Ecrire un texte en utilisant seulement les lettres qui n'ont ni hampe ni jambe. Adieu les b, d f, g, et autres p... "une souris mauve sur un mur si noir, un rêve irisé sur une mer sereine, une rose carmin sur ma veine si crue". Sur mon cahier. Sur les autres, pas les mêmes mots, chacun les siens et à la fin, on lit, à tour de rôle, on rit, tous ensemble. Après on a juste le temps de ranger les cahiers, les stylos, la récréation est finie, rentrer à la maison, le dîner, les enfants, un mari. Un souffle de conversation volète au-dessus de la table, quelques mots, "Oui, oui, il faut lire Annie Saumont. Je suis pas un camion, je l'ai lu, d'autres aussi" ...
- Comment tu dis?
- Saumont. Annie Saumont.
- C’est quoi ?
- Des nouvelles.
- Saumont, comme le saumon?
- Avec un T.
Avril 2008, un soir, j'ai écrit Saumont tout en haut de ma page, par dessus les mots sans hampe ni jambage. Saumont, ça ne marche pas. A cause du T, justement.
C'est rien, ça va passer. Ils avaient celui-là, à la médiathèque. J'ai ouvert le livre et j'ai plongé. Pas noyée, non, juste baignée. Dans un drôle de bain de mots, des mots pas comme il faut, des phrases pas belles, pas bien faites, pas des "comme tu écris bien!". Mais les mots pour les dire, les maux. Les maux d'une fille, ou d'un garçon, d'un enfant, d'un parent, les mots de tous mais de chacun. Portée par les mots, flottée. J'ai lu le livre deux fois, pour être sûre. Sûre qu'on pouvait écrire comme ça. On pouvait. Pas au goût de tous, sans doute, mais on pouvait.
Ça faisait juste 9 mois que j'avais le droit d'écrire. Donné par moi, à moi. A batailler une fois par semaine pour me défaire de la colle du quotidien et rejoindre ma place autour de la table, sortir cahier, stylo, attendre la consigne et me jeter à l'eau. Juste 9 mois que je tâtonnais au fil des séances, trop heureuse de me perdre 2 heures par semaine dans l'antre de l'atelier. 9 mois pour découvrir qu'on pouvait écrire comme ça.
Printemps 2008, pour quelques histoires de Saumont, Annie Saumont, j'ai su que c'était le bon, le chemin.