triage
Assise à la table de la salle à manger, les genoux calés contre la poitrine, elle trie les boutons. Moi, campée à l’autre bout de la table, je fouille dans le dernier sac contenant les papiers de ma mère. Et tandis que je décortique les bulletins de salaires qui dessinent le parcours chaotique de maman dans le monde du travail, le bruit des boutons brassés dans la boite fait danser les souvenirs dans un coin de ma tête.
L’atelier lambrissé de pin, maman penchée sur sa table de travail, le frémissement du tissu sous ses doigts, le crissement des ciseaux qu’elle manie d’une main sûre, gardant au coin de sa bouche quelques épingles qui la font répondre d’un grognement agacé à nos questions. Le crépitement de la machine à coudre, les poussières textiles dans un rayon de soleil, les chutes de tissus réclamées pour habiller nos poupées et, dans la boite ornée de roses, les boutons. Des centaines de boutons, des dizaines de formes, de tailles et de couleurs. Des boutons en bois, en nacre, en plastique. Des boutons perles, boules, vagues, des plats, des ronds, des carrés. Un merveilleux trésor, parfait pour occuper les petites mains des petites filles.
Elle trie les boutons avec tout le sérieux qu'exige cette tâche minutieuse. Elle y passera le temps qu'il faudra mais les boutons seront triés puis ensachés pour rejoindre dans un carton les fournitures de couture qu'elle a rassemblées : bobines et canette de fils, pressions, rubans, fermetures éclair... Nous espérons trouver une autre couturière qui prendra le relais. Autour d’elle, il y aura bien des enfants pour jouer avec les boutons ?