Le point final, c'est l'horizon de l'écrivain, une ligne lointaine sur laquelle on lève parfois les yeux en cours d'écriture mais qui parait si éloignée qu'on en a presque un vertige. Alors on baisse les yeux sur la page et on se remet au travail.
Pourtant, un jour, vient un point final. Le premier. Parce qu'il n'y en a pas un mais plusieurs. Le premier, c'est presque le plus facile à atteindre. C'est celui du premier jet. Si je suis en forme, disponible, j'y parviens sans trop de peine. Au bout de quelques jours à quelques semaines, l'histoire est là, posée sur la feuille (papier ou virtuelle). D'une idée de départ ont jailli les mots pour le dire. Les personnages, l'intrigue, le décor... tout y est, au moins dans les grandes lignes. Je suis heureuse de toucher au but (ça tient un peu de l'émotion primitive que l'on pouvait ressentir, gamin, à toucher le mur en premier lors d'une course dans la cour de l'école)
Mais si je sais bien que ce répit est de courte durée. Et je dois bien reconnaitre que le texte qui s'impose à mes yeux après une nuit de sommeil n'est absolument pas fini. Dès les premières lignes surgissent les défauts de la matière (à la manière d'un papier peint trop vite posé qui laisse apparaitre des cloques et des plis qu'il va falloir faire disparaitre patiemment) A la fin du premier paragraphe le découragement me saisit. Comment cette histoire, hier si géniale, peut-elle aujourd'hui donner ce texte truffé de fautes, de répétitions, d'incohérences, de maladresses?
A ce moment précis, j'ai deux possibilités : ou bien, laissant la vague du découragement me submerger, je jette mon travail à la poubelle et décide de ne plus jamais écrire quoique ce soit, ou bien, je vais chercher au fond de moi un éclair de confiance puis je retrousse mes manches et me remets au boulot. Ligne après ligne, mot après mot, je vais entrer en pays de réécriture. Une contrée rude, au climat harassant, alternance d'éclaircies et de tempêtes. La réécriture, c'est un pays de longues et mornes plaines de travail entaillées de crevasses de désespoir, hérissées de pics de colères, noyées sous un déluge de découragement. Une fois, deux fois, dix fois, je croirait avoir posé ce fameux point final. Mais à chaque ultime relecture, une cloque, un pli, ça n'en finit pas!
Jusqu'au jour où... le dernier, le vrai, LE point final se pose enfin sur la dernière page, après le dernier mot. Avec un peu d'expérience, j'ai appris à le reconnaitre. Peut-être à cette sensation de relâchement dans le ventre (oui, toujours ce lien entre le ventre et l'écriture!) Alors je sais que le texte est fini, vraiment fini!
Sans