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L'atelier de Fabeli
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27 avril 2013

Dans quel état est Laurence Litique?

verre brisé Appel à contributions : Dans quel état êtes-vous quand vous donnez vos textes à lire (éditeurs, amis...) si vous aussi vous voulez évoquer cet état si particulier, propre à chaque auteur, écrivez un texte et venez le partager (en m'adressant un mail)
Je vous propose de reprendre l'incipit suivant : "Lorsque j'envoie un texte (à un éditeur, à un ami)..." et ...c'est à vous!

 

Laurence Litique,

artiste peintre et écrivain, accepte de partager ses impressions.


Lorsque j'envoie un texte à un éditeur, je me dis « pour le meilleur ou pour le pire ! »  Enfin, plutôt pour le pire : le meilleur de l’écriture et de la joie, de l’enchevêtrement des mots, étant déjà derrière.

Dans le pire – et la majeure partie – des cas, je n’aurai pas de réponse. Ou une réponse négative sans autre précision que « Nous avons le regret… » … « notre ligne éditoriale… » Ah, la ligne ! En ont-ils lu une seule de mon roman, de mes nouvelles, au moins ?

Nous sommes nombreux. Ils n’ont pas le temps les éditeurs disent-ils. OK OK je sais !

Dans un pire moins profondément ancré, mon texte pourrait plaire. Mais « nous ne publions que peu d’ouvrages par an et… », et ils en reçoivent à la pelle des manuscrits comme le mien.  OK OK, on sait ! Même si « comme le mien » est la preuve intrinsèque qu’ils n’ont pu, au mieux, que le survoler, mon manuscrit…

Dans le meilleur du pire, éventuellement, mon texte pourrait être… pourrait être, oui, oui, re te nu ! Vous avez bien entendu : R E T E N U. Hip hip hip, Yeah ! Mon Texte, RETENU!

Fierté et vanité, gloire à moi, faire un livre de mon texte, de mon roman, de mes nouvelles, un livre en vrai, tout en papier et couverture cartonnée. Summum et paroxysme ! Alléluia !

Oui, mais ! Il y a forcément un Mais. Parce que c’est là que les abominables tractations commencent. L’éditeur, qui a choisi mon texte parmi des milliers d’autres, qui n’en a pas écrit une seule ligne, commence subitement à le trouver moins bon. A lui trouver un tas de défauts. A vouloir décortiquer là et là. A détricoter les côtes et les mailles torses pour en faire un vulgaire point mousse.  «  Ca, là, vous voyez Madame l’auteure, ce n’est pas vendeur ! » Ah nous y voilà : l’argument de taille, qui va lui permettre n’importe quels amputations et raccommodages. Avec  son grain de sel en prime, pas forcément grain de style !

Et là, horreur, malheur, ma fine et délicate dentelle patiemment fuselée risque de basculer dans un vulgaire travail manuel pour club de mémères à doigts gourds en panne d’inspiration. Mon thé aux fragrances orientales devenir un bol de chicorée. Mes amoureux de Paname enlacés, seuls au monde dans la rue des Soupirs, se transformer en grotesques touristes mêlés à la foule s’extasiant devant une tour Effel…  J’en passe…

Pour le meilleur ou pour le pire disais-je ? L’angoisse de mon texte bafoué me prend à la gorge, me vrille les entrailles.  Comment ai-je pu à ce point omettre de le protéger ce texte, de me protéger, en le soumettant ainsi à un regard superficiel et cupide ? Il va être bafoué, oui bafoué, c’est certain.

La machine infernale de la décomposition-recomposition est lancée. Il faut justifier d’un style face à une volonté commercialisante. Des deux, qui va l’emporter ? L’éditeur qui s’emporte ? L’auteure qui proteste ? S’ensuivra sans doute une sorte de compromis, bouillie-marmelade qui ne sera ni de l’un ni de l’autre.

Et l’éditeur de se plaindre de l’orgueil de l’auteure et l’auteure de pleurer ses mots perdus, son écriture, ses fleurons disparus, s’en sortant tout poussifs et éraillés, son texte ne lui appartenant déjà plus, prête à s’insurger contre sa propre compromission.

Au bout du compte qui ne fait le compte de personne, l’auteure ayant laissé entamer sa plume, corrompue pour quelques espèces sonnantes et trébuchantes, est taraudée par une lancinante interrogation : était-ce bien elle la géniale auteure du siècle ?

De guerre lasse, elle balaie la question sur le champ, se promettant que jamais plus elle ne livrera sa poésie en pâture, que jamais plus elle ne vendra son âme au diable.

Même pour une couverture en bonne place sur les étals…

J’ouvre les yeux, le cœur au bord des lèvres, un nœud dans le ventre : l’enveloppe épaisse est là, sur la table, prête à être postée.

 

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