Entre mes bras
Elle m'aime! Elle me l'a dit! Comment ça, je ne peux pas comprendre? Qu'est-ce que vous en savez? C'est peut-être vous qui ne comprenez rien. Vous ne savez pas ce qui se passe entre elle et moi. Vous ne savez rien de l'état de son âme quand elle se jette dans mes bras. Parce que c'est bien dans mes bras qu'elle se jette et pas dans les vôtres. Vous voyez bien! Elle m'aime, je vous dis!
Ça fait plusieurs années que ça dure, elle et moi. Depuis ce jour d'octobre où elle m'a découvert dans sa chambre. Au début, ça n'a pas été simple. C'est pas un cadeau, cette fille-là, que je me suis dis. Au lieu d'apprécier ma présence, elle passait son temps à balancer sur moi sa mauvaise humeur et ses contrariétés. Et vlan! Un sac par-ci! Et vlan! Un jean par-là! Et des chaussures, des livres, et j'en passe! Bien sûr, je ne pouvais rien dire, je n'avais pas droit à la parole. Je me contentais de supporter son mauvais caractère. Parfois elle m'ignorait complètement, ne s'occupait pas plus de moi que de ses premières chaussettes. Je sentais bien qu'elle avait du mal à supporter ma présence. J'occupais une partie de son espace vital, elle m'en tenait rigueur.
Pourtant, elle a fini par s'habituer, par me trouver utile, voire même agréable. Je devenais l'objet de toutes ses attentions. Elle prenait soin de moi, réchauffait mes épaules d'un plaid multicolore ou d'un châle indien. Je commençais à faire partie du décor. Elle aimait se blottir contre moi pour lire ou téléphoner des heures durant à sa meilleure amie. Ma placidité naturelle la rassurait. Elle savait qu'elle pouvait compter sur moi, même au creux de la nuit, quand le sommeil fuyait loin de ses yeux. Elle venait alors me voir, cherchant la chaleur et le réconfort que lui refusait son lit.
J'ai tant de fois recueilli ses
larmes. Je ne pouvais rien dire face à ces chagrins qui la submergeaient comme
un raz de marée. Je ne pouvais que lui ouvrir mes bras, l'accueillir
tendrement. Si j'en avais été capable, je l'aurais bercé, mais je ne savais
pas. Je me faisais douceur et caresse pour ma petite princesse au cœur gonflé
de peine. Elle finissait toujours par sécher ses yeux et repartait affronter sa
réalité.
C'est une battante, cette
fille-là. Entre nous, c'est une histoire forte et solide. D'ailleurs, quand elle
a quitté le maison, elle m'a proposé de la suivre. Ses parents n'étaient pas
d'accord, ils ne voyaient pas l'intérêt de s'embarrasser d'un lourdaud comme
moi. Ils parlaient de racheter du neuf et du moderne. Elle leur a tenu tête
avec vigueur! Elle ne pouvait pas se passer de moi, c'était comme ça! Je serais
là pour là pour la rassurer quand elle ressentirait l'angoisse de la séparation
et de l'éloignement familial. Et puis inutile de faire de nouvelles dépenses,
ma carcasse était suffisamment solide pour supporter le voyage. Evidemment, ses
parents se sont inclinés devant tant d'ardeur et de ténacité.
Depuis, nous vivons, elle et moi,
dans ce petit studio, près de l'université. Elle a pris l'habitude de venir me
retrouver, le soir, pour un petit câlin devant la télé. Elle me raconte sa
journée, me parle de ce garçon qui lui a souri. Je reçois sans les trahir ses
plus intimes secrets. Avec moi, elle est en confiance, elle sait que tout ce
qu'elle me dit restera caché dans le cuir de ma peau. Elle peut chuchoter,
rire, pleurer, hurler, je la prends comme elle est, avec toute
la fougue de ses vingt ans. Dans la tourmente de sa jeune vie d'adulte, je suis
un repère, une certitude. Solidement planté sur mes quatre pieds, je ne bouge
pas, je l'attends.
Fabienne Rivayran 24.08.09